27 janvier 2019

4/ J'ai couru vers le Nil


Ce roman se déroule pendant la Révolution Égyptienne de janvier-février 2011 place Tahrir et se poursuit par la Contre révolution organisée par le Régime toujours en place , même après le départ de Moubarak.
La force de ce roman polyphonique tient dans le choix des personnages, tous passionnants, et par la puissance des événements. Tout s'articule parfaitement entre la grande Histoire et les petites histoires et c'est grâce aux différents points de vue qu'on a une vision complète des deux Egypte qui s'affrontent: celle des révolutionnaires qui réclament plus de justice et de droits et les contre révolutionnaires qui veulent préserver leurs pouvoirs et leurs privilèges. Ces derniers utilisent le mensonge comme arme de guerre incroyablement puissante.

Quelques personnages du roman:

Le général Alouani: très poli, comme tous les grands tortionnaires, il est le chef de l'Organisation, chargée de la sécurité d'état. Il aime sa fille Dania qui, en dépit de sa classe sociale, a conscience de ce qui se passe.

Khaled: il représente la jeunesse égyptienne qui refuse ce que leurs parents acceptent depuis trop longtemps. En Egypte, 60 % de la population a moins de 40 ans!

Achraf Ouissa: copte, acteur, fumeur de haschich, écrivain décidé à dénoncer l'hypocrisie de la société égyptienne à ses compatriotes, il va s'engager dans la Révolution.

Asma Zenati: professeure d'anglais dans un lycée très religieux, elle refuse le port du voile et résiste à la corruption organisée, sous couvert de la religion. Impliquée dans le mouvement Kifaya, "Assez!", faire partie des Révolutionnaires est une suite logique pour elle.
50 % des Révolutionnaires étaient des femmes!

Issam Chaalane: ancien militant communiste désenchanté. Il voulait le changement, mais il a été brisé.

Le cheikh Chamel, prédicateur, et Nourhane, présentatrice TV vedette et qui devient la spécialiste de l'amour "qui respecte les prescriptions de la religion". Tous deux symbolisent l'hypocrisie du système, soutenue par le wahabisme. A travers eux, on comprend comment la mécanique du pouvoir se met en place, complètement manipulatrice, couvrant des actes ignobles par la religion.
C'est ce qu'on voit qui compte, pas ce qu'on fait. Nourhane sait parfaitement l'utiliser et en tire avantages sans aucune morale. Ce qui fait froid dans le dos, c'est qu'elle serait inspirée d'une femme réelle!

D'autres personnages, également importants, traversent cette histoire tragique et forte. Des liens se créent, se défont... Ils nous emportent dans une véritable tornade.

A lire absolument!

extraits:

"Regardez les tableaux de Mahmoud Saïd. Ce grand artiste a été élevé dans le palais de son père, qui était premier ministre. Il a étudié en France et a été juge jusqu'à l'âge de cinquante ans, avant de se consacrer à l'art. Mais lorsqu'il a peint, c'est chez la femme du peuple qu'il a trouvé l'archétype de la féminité. Les femmes de la classe supérieure n'ont pas la féminité de ses Filles de Bahri. En résumé la femme du peuple est LA Femme, et tout ce qui n'est pas elle est factice et artificiel. C'est exactement la même différence que celle qui existe entre des roses naturelles et des roses en plastique."







"La morale sans la foi vaut mieux que la foi sans la morale."

"- Asma, je ne suis pas satisfait de votre façon d'enseigner. Vous donnez aux filles la possibilité de penser par elles-mêmes et, sur le plan pédagogique, cette méthode est très néfaste."

"- La loi, ce sont les commandements de Dieu, et la jurisprudence religieuse, c'est la façon d'appliquer ces commandements. La loi est divine tandis que la jurisprudence est un effort de réflexion humain. On ne peut donc pas appliquer les paroles de docteurs en jurisprudence religieuse qui ont vécu il y a des siècles. Il faut que nous adoptions une nouvelle jurisprudence en adéquation avec notre époque. L'islam a permis d'acheter des concubines pour en jouir. Imagines-tu que l'on mette en vente des jeunes filles sur la place Ataba par exemple et que n'importe quel acheteur ait le droit de coucher avec elles? Au vingt et unième siècle, il n'est pas admissible de couper la main d'une personne, ni de la fouetter, ni de l'enterrer dans un trou pour la lapider jusqu'à la mort. Le châtiment du taazir était peut-être utile il y a mille ans mais il est inapplicable aujourd'hui. Si ton parent insiste pour l'application du taazir, alors nous avons le droit d'acheter des concubines pour en jouir sexuellement. On ne peut pas abandonner une chose et en appliquer une autre. S'ils veulent revenir au passé, il faut y revenir complètement."

Bien entendu, Alaa El Aswany n'est pas publié dans son propre pays et le Régime s'attaque à lui en utilisant le mensonge, mais également en intentant des procès à sa fille pour des raisons toujours fallacieuses...

Et pour aller plus loin: https://www.amnesty.fr/pays/egypte


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