12 septembre 2011

19/40: Insoupçonnable

+++

p99:

« croque-mort, de cette tristesse empruntée aux visages des autres, sans que personne, ni les flics ni les badauds ne sachent distinguer d’entre la comédie et le masque sombre de la vraie tristesse.

Sa tristesse à elle aussi, Lise toujours, ébouriffée sur la plage et n’ayant pas dormi, mais qui avait eu la force cette nuit-là de prendre son téléphone et de cet air inquiet qu’elle n’avait pas forcé elle avait composé le numéro de la police, pris une voix de circonstance, et signifié l’angoisse liée à l’absence, mon si cher mari, disait-elle encore ce matin-là au commissaire, en pleurant.

J’ai entendu ça sur la plage ce matin-là : Bonjour monsieur le commissaire, et j’ai sursauté, à cause des vieilles blagues de golfeurs, monsieur le commissaire, comme s’il allait apparaître là, Henri, debout, un club de golf dans les mains. Et je ne sais pas, mais il y a des choses curieuses dans la vie, quand j’ai compris que c’était un vrai commissaire, quand j’ai vu un commissaire de police avec une moustache et un imperméable comme dans une série télévisée, presque je l’aurais embrassé de soulagement. Il y a des choses comme ça dans la vie, des choses curieuses.

Mais j’aurais voulu qu’on en finisse vite avec ces recherches inutiles, vraiment inutiles, avais-je »

Le narrateur assiste au mariage de sa sœur avec un homme ayant le double de son âge. Riche, évidemment. Un plan machiavélique a déjà commencé… Suspense, dérapage, mensonges…

07 septembre 2011

18/40: Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants

++++

Fait véridique: l'artiste Michel-Ange est invité par le sultan Bajazet à Istanbul pour proposer les plans d'un pont sur la Corne d'Or. Nous sommes en 1506, Michel-Ange a 31 ans, découvre la ville, se lie avec un grand poète ottoman, Mesihi et se met à l'oeuvre.
Comme l'artiste doit le faire, on s'imprègne de la ville et des rencontres, par petites touches, au travers de chapitres très courts.
p.99:

« Michel-Ange ne parlera pas de cette nuit dans le calme de la chambre au-delà des eaux douces de la Corne d’Or, ni à Mesihi, ni à Arslan, encore moins à ses frères ou, plus tard, aux quelques amours qu’on lui connaît ; il garde ce souvenir quelque part dans sa peinture et dans le secret de sa poésie : ses sonnets sont la seule trace incertaine de ce qui a disparu à jamais.

Mesihi, quant à lui, exprimera plus clairement sa douleur ; il composera deux ghazal sur la brûlure de la jalousie, douce brûlure, car elle fortifie l’amour en le consumant.

Il a passé la nuit à boire,seul lorsque leur hôte s'est retiré à son tour, vaincu par la fatigue; il a vu la beauté andalouse quitter discrètement la maison, à l'aube, enveloppée dans un long manteau; il a attendu patiemment Michel-Ange, qui a évité son regard; il a traîné le sculpteur épuisé jusqu'aux bains de vapeurs, a convaincu son âme déchirée de se remettre à ses mains; il l'a baigné, massé, frotté fraternellement; il l'a laissé s'assoupir sur un banc de marbre tiède, enveloppé dans un linge blanc, et l'a veillé comme un cadavre.

Lorsque Michelangelo quitte sa torpeur et s'ébroue, Mesihi est toujours auprès de lui.

Le sculpteur est empli d'une énergie éblouissante, malgré l'alcool ingéré la veille et le manque"

04 septembre 2011

17/40: Le lac né en une nuit

++++

p.99:

« d’avis pour lui permettre de s’allier à un des royaumes qui bordaient le sien, et dans le même temps n’était pas mécontent de garder près de lui sa fille préférée…

Un jour, le vaisseau qui portait la princesse et sa suite arriva dans un charmant village. Le site, pittoresque, plut à Tiên Dung, et elle décida de faire halte pour explorer les lieux. Se promenant sur la plage et la trouvant immaculée, elle voulut profiter du climat, très doux, et de la beauté du site, et ordonna qu’un bain lui fût préparé en plein air. Les serviteurs dressèrent une tente de fortune à l’aide de panneaux de soie, et la princesse commença ses ablutions. Tandis qu’elle versait de l’eau sur son dos, elle entendit un léger cri. Se tournant vivement, elle se trouva presque nez à nez avec un jeune homme entièrement nu, qui tentait en vain de se dissimuler derrière des roseaux, et qu’elle avait arrosé par mégarde. Saisie de frayeur, elle faillit appeler ses gens à l’aide, mais se ravisa devant la confusion du garçon, au demeurant fort beau. Le corps à demi enfoui dans le sable, n’osant lever les yeux vers Tiên Dung, il implora sa clémence tout en lui contant son histoire.

« Princesse, mon nom est Chu Dông Tu. Autrefois j’habitais avec mon père une cabane sur la lisière du fleuve. Nous étions pauvres mais n’avions pas à nous plaindre : nous disposions d’un toit, et la mer nous a toujours fourni de quoi nous nourrir. Mais voilà qu’un jour où nous étions sortis pêcher un incendie anéantit notre »

18 contes vietnamiens choisis par Minh Tran Huy. Née à Clamart, ces histoires l’ont reliée à ses racines, à un pays et à ses traditions, à une identité lointaine et rêvée…

01 septembre 2011

16/40: Démon

++++-

Pierre Rothko, le narrateur, est grand reporter. Il part à la recherche de l'histoire de son père et de ses grands-parents. Se déroule alors l'histoire de l'Europe du XXe siècle avec son cortège d'horreurs. Sa quête le conduit en Tchétchénie, pays en guerre contre la Russie, et lui permet de rendre compte de l'état du monde aujourd'hui: pas très bien!

Intense et passionnant, mais les feuilles de mon livre se sont détachées jusqu'à la page 116!!!

p.99:

"Un ouvrier de Minsk dans le secteur automobile produisait environ la moitié de son collègue du Michigan. La classe ouvrière soviétique, à la différence de la classe ouvrière aux Etats-Unis, était souvent inapte. Pour une grande part, elle provenait de campagnes reculées, d’où elle était partie faute de pouvoir y manger à sa faim. Elle n’était pas qu’affamée, du reste ; elle était aussi insociable, querelleuse, alcoolique.

Klitch y était d’autant plus sensible que le portrait de sa famille correspondait à ce tableau de paysans attirés par la ville, à qui faisaient défaut non seulement les ressources, mais les manières les plus élémentaires. Dans ces conditions, mon grand-père, diplômé d’une des meilleures écoles d’électricité du pays, cherchait à policer ses ouvriers, luttant contre les maladresses, l’incompétence, l’absentéisme, les désertions, les rixes dans les vestiaires, les accidents, les dégâts causés aux machines, les vols d’outils. Pour cela, je suppose, il lui fallait rendre des comptes à Klitch. Mais cette explication ne suffit pas pour comprendre la présence – même discrète – de cet apparatchik dans l’histoire de mon père.

Les choses commencent à s’éclairer si l’on admet que Klitch a pu représenter pour lui une sorte de double bolchevique qui avait réussi. Un alter ego sur le mode héroïque. Un militant qui pouvait certes ressembler à beaucoup d’autres, mais en qui mon père avait psychiquement investi, aussi bien au cours des années 40 que plus tard, quand il quitta l’URSS et le berceau du stalinisme. Le jour de son départ, mon père était âgé de vingt-trois ans – c’était à peu près l’âge de Klitch quand, enfant, il le vit pour la première fois (probablement en 1938, lorsque son père obtint la direction de la fabrique Bosniev et qu’il invita à dîner le troisième secrétaire en compagnie d’autres notables)."