10 janvier 2010

3/40: Journal

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Encore un journal! Oui, mais... celui-ci...

Hélène Berr, 21 ans, le commence en avril 1942, par une belle journée de printemps, à Paris. Ce jour-là, elle a décidé d'aller au bout de son audace et:
"Je reviens... de chez la concierge de Paul Valéry. Je me suis enfin décidée à aller chercher mon livre. Après le déjeuner, le soleil brillait; il n'y avait pas de menaces de giboulée. J'ai pris le 92 jusqu'à l'Etoile. En descendant l'avenue Victor-Hugo, mes appréhensions ont commencé. Au coin de la rue de Villejust, j'ai eu un moment de panique. Et tout de suite, la réaction: "Il faut que je prenne les responsabilités de mes actes. There's no one to blame that you [Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même]." Et toute ma confiance est revenue."
Auprès de la concierge du poète, elle récupère l'exemplaire qu'il lui a dédicacé "Au réveil, si douce la lumière, et si beau ce bleu vivant", Paul Valéry.
Moment de bonheur. Ce n'est pas le seul. Hélène Berr raconte son quotidien: elle étudie à la Sorbonne, joue du violon avec ses amis et sa famille, passe ses dimanches dans la maison de campagne, elle lit beaucoup et travaille sur la littérature anglaise et tombe amoureuse... Elle est brillante, gaie, active. On en oublierait presque le contexte.

D'ailleurs, elle fait tout pour éviter de parler de "la chose". Mais comme dans les films d'horreur, on commence par percevoir sa présence. Et petit à petit, la "chose" envahit son univers jusqu'à le dévaster. Les êtres chers sont peu à peu remplacés par des vides douloureux.
"Combien d'âmes qui valaient un prix infini, dépositaires de dons devant lesquels d'autres hommes auraient dû s'incliner, ont-elles été ainsi broyées, brisées par cette brutalité germanique?"

A travers son écriture, on rencontre une très belle personne, digne, courageuse, touchante... Quelle force, si jeune! Ses mots, ses pensées sont bouleversants.

Tout en lisant, je n'ai pas pu m'empêcher d'y trouver des échos avec notre époque. Bien sûr tout n'est pas comparable, loin de là, mais je me demande ce qu'Hélène Berr penserait, par exemple, du "délit de solidarité"? (!?!?!?)
"Les gendarmes qui ont obéi à des ordres leur enjoignant d'aller arrêter un bébé de 2 ans, en nourrice, pour l'interner. Mais c'est la preuve la plus navrante de l'état d'abrutissement, de la perte totale de conscience morale où nous sommes tombés. C'est cela qui est désespérant.
[...]
C'est toujours la même histoire de l'inspecteur de police qui a répondu à Mme Cohen, lorsque, dans la nuit du 10 février, il est venu arrêter treize enfants à l'orphelinat, dont l'aîné avait 13 ans et la plus jeune 5 (des enfants dont les parents étaient déportés ou disparus, mais il "en" fallait pour compléter le convoi de mille du lendemain): "Que voulez-vous, madame, je fais mon devoir!"
Qu'on soit arrivé à concevoir le devoir comme une chose indépendante de la conscience, indépendante de la justice, de la bonté, de la charité, c'est là la preuve de l'inanité de notre prétendue civilisation."

A lire absolument.

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